PORTRAITS
Toute l’année, nous suivons des voyageurs au long cours. Nous en rencontrons certains en voyage, d’autres chez nous. Et c’est toujours l’occasion de partager nos découvertes et notre passion pour le voyage et l’aventure.
The Royal Silk Road, c’est l’aventure unique de 3 amis, qui ont parcouru 18 000 km à moto pour rallier Bruxelles depuis Delhi.
Léopold nous raconte un peu de leur road trip et quelques anecdotes qu’on croirait sorties d’un film, à la hauteur finalement d’un voyage moto sur la mythique Route de la Soie…
D’une rencontre improbable avec le Pape François à une livraison de segments Royal Enfield par des pilotes de ligne de Tadjik Air, on vous souhaite une très bonne lecture !
Comment est née votre idée de voyage ?
A l’origine, c’était un voyage en famille en Inde, parmi les nombreuses découvertes de ce pays haut en couleur, le bruit caractéristique des Royals Enfield qui transcendent le bourdonnement des rues indiennes.
Mon père était sous le charme et désirait en ramener une par bateau jusqu’en Belgique, ce qui semblait déjà toute une aventure. Je n’étais pas motard à l’époque.
Quelques temps plus tard, je m’étais mis au scooter et pour célébrer la fin de mes études, je voulais faire un grand voyage. L’Iran trottait dans ma tête depuis un petit temps. Le souvenir de la Royal Enfield m’est revenu et combiner le tout me paraissait, naïvement, si simple : Acheter une moto en Inde, traverser le Pakistan, l’Iran, la Turquie et me voilà déjà de retour en Europe.
De simple projet, l’idée est devenue plus concrète et de nombreux obstacles et challenges ont dus être relevés. Certaines régions étant moins sûres que d’autres, l’itinéraire a muri. Eviter le Baloutchistan pour contourner l’Afghanistan par le Xinjiang.
Petit à petit, la carte de l’Asie Centrale devenait un terrain de jeu, déplaçant l’itinéraire au gré des endroits à absolument découvrir mais également en fonction des visas requis en tenant compte de leur période de validité et de la façon de les récupérer sur l’itinéraire.
A la base il s’agissait d’un projo solo mais à force d’en parler à mes amis, deux m’ont rejoint, Donald et Thibault. Chacun a apporté ses propre envies et visions du voyage, qui a alors encore évolué pour prendre la forme d’un New-Delhi – Bruxelles en 4, 5 mois.
Nous étions limités dans le temps par mes études, je devais encore rédiger mon mémoire de fin d’étude et le rendre pour début janvier, il fallait donc rentrer pour fin novembre au plus tard. De plus, rouler en hiver n’est pas des plus agréable.
« Acheter une moto en Inde, traverser le Pakistan, l’Iran, la Turquie et me voilà déjà de retour en Europe. »
Comment avez-vous préparé votre voyage à moto ?
Tout d’abord, il fallait savoir si un tel voyage était possible.
Le premier problème était de se procurer un Carnet de Passage en Douane pour traverser le Pakistan. Il a fallu passer de nombreuses heures sur internet à découvrir les récits de voyage de ceux qui l’on fait avant nous afin de pouvoir surmonter l’enfer de l’administration. Un français m’a donné le filon pour le fameux carnet et à force de persévérance nous avons trouvé le moyen de l’avoir.
C’était seulement le premier obstacle qui était réglé. Nous devions également être sûrs de vouloir entreprendre ce voyage, comme aucun de nous n’avais jamais roulé à moto et encore moins en Royal Enfield. C’est pourquoi nous avons fait un premier voyage en Inde 1 an avant le départ pour trouver un garagiste qui pourrait nous préparer les motos (il nous fallait des motos d’avant 1974 pour pouvoir les immatriculer en Belgique) selon nos envies.
Après avoir arpenté Karol Bagh, le quartier des mécaniciens à New Delhi, nous avons fait confiance à Joga Motors et Madame Rana pour la préparation des motos. Nous avons également fait un premier petit périple de 1000 kms en Royal Enfield moderne pour être nous rassurer qu’un tel voyage ne se confinait pas au domaine de la folie furieuse. On en est ressorti encore plus déterminés.
Comme aucun de nous n’avait la moindre expérience de moto ou en mécanique, nous avons dû passer le permis moto, regarder de près ou de loin comment faire l’entretien d’une moto ou apprendre à déceler un comportement, bruit suspect du moteur. Les nombreuses heures passées sur internet, les cours de mécanique « express » que nous avons eu à Delhi n’ont finalement que peu servi une fois les mains dans le « cambouis », dans une petite route déserte perchée dans la montagne. La meilleure école étant la débrouille.
Une partie importante de la préparation a été dédiée à la recherche de sponsors. Donald et Thibault étant photographes et cinéastes, le projet a pris une ampleur cinématographique importante et rapidement, Canon est devenu notre sponsor principal, ce qui nous a permis d’ouvrir de nombreuses portes chez d’autres sponsors.
La recherche de sponsors a rapidement pris le pas sur la préparation mécanique mais cela nous a permis de partir dans d’excellente conditions, notamment grâces aux équipementiers IXON, KAPPA et SIDI qui nous ont équipés de la tête aux pieds, utile quand on a peu d’expérience à moto et que les chutes sont fréquentes.
Il a également fallu trouver un nom, comme nous roulions en Royal Enfield sur la route de la soie, The Royal Silk Road est venu tout naturellement.
Comme je faisais mes études en Chine à ce moment-là et que Donald et Thibault étaient en Belgique, la préparation n’a pas toujours été facile mais nous sommes arrivés à un beau résultat.
Je suis également parti un mois seul en Inde en mars pour faire un premier tour avec ma moto qui était déjà prête, afin de la « tester » et de lui faire faire ses maladies de jeunesse, comme il s’agissait d’une moto vintage refaite à neuf. Ce fut également l’occasion d’apprendre quelques bases de la mécanique et se remettre en selle car je ne conduisais pas en Chine. Ce premier voyage à la découverte de l’Inde rurale fut une belle petite aventure.
Quel était votre itinéraire ?
Nous sommes partis de New Delhi en Inde pour arriver à Bruxelles, place Flagey pour les intimes.
Nous sommes passés par une bonne partie de l’Asie Centrale, nommément : Inde – Pakistan – Xinjiang (Chine) – Kirghizistan (est) – Kazakhstan (est) – Kirghizistan (ouest) – Tadjikistan – Ouzbékistan – Kazakhstan (ouest) – traversée de la Mer Caspienne – Azerbaïdjan – Iran – Arménie – Géorgie – Turquie – Grèce – Albanie – Monténégro – Croatie – Slovénie – Italie – Suisse – Allemagne – France – Belgique.
Ce qui fait de nombreux passages de frontières et de visas à avoir en ordre. Certains étaient facile à obtenir d’autres beaucoup plus contraignants. Parfois, il a fallu rouler tambour battant, 17 heures par jour, pour arriver au point frontière avant qu’il ne ferme, ou nous risquions de rester bloquer dans le pays.
L’Asie Centrale en générale regorge de trésors et de paysages à couper le souffle. Sur une même journée, nous pouvions passer de paysages rocailleux et arides à des plaines fertiles, traversées par de larges rivières. On se lasse difficilement, tant la diversité de l’environnement étonne.
Nous avons séjourné plus longuement dans trois villes, Dushanbé, Bakku et Tabriz, chaque fois deux semaines à la suite de soucis mécaniques auxquels il fallait remédier. Ces instants de repos ne profitaient pas qu’à nos mécaniques, ils étaient également salutaires pour le corps et l’esprit.
Nous avons à chaque fois pu nous lier d’amitié avec la population locale, que ce soit le seul groupe de rock au Tadjikistan, un gang de motards en Azerbaïdjan ou les mécaniciens de la rue de Palestine à Tabriz.
Les principales étapes furent l’arrivée au Kirghizistan qui marquait l’arrivée en Asie Centrale et la fin du stress engendré par un départ tardif d’Inde et un contre-la-montre pour arriver à la frontière chinoise.
Ensuite l’arrivée à Baku en bateau marquait une seconde étape du voyage, l’arrivée dans une ville moderne du Caucase et ensuite le passage de la frontière grecque qui marquait le retour en Europe et les paysages qui, au fur et à mesure des kilomètres, devenaient de plus en plus familiers.
Un des éléments marquants ? Lorsqu’on arrive en Europe, le bétail est dans un pré fermé et il y a plusieurs routes pour arriver au même endroit.
Pourquoi avoir voyagé à moto ?
Le voyage s’est construit autour de la moto, cette idée romantique et naïve de ramener un morceau de culture indienne en Europe, sans pour autant prendre le chemin le plus court ni l’engin le plus adéquat.
On nous a averti des soucis qui se présenteraient sur la route, mais nous avons persévéré car pour nous c’était plus le périple que la destination qui importait et les Royald Enfield des années 70 allaient certainement nous permettre de vivre quelques aventures.
La moto est un vecteur de rencontre avec les locaux, bien plus qu’une voiture. Il n’y a pas d’armature qui nous sépare des autres et lorsque nous arrivons dans un village, nous pouvons directement discuter et faire connaissance.
C’est aussi un moyen de locomotion beaucoup plus humble qu’une voiture, ce qui permettait d’arriver partout sans attirer aucune convoitise. Comme nous avons refait les motos de A à Z à Delhi, nous avons pu tout choisir sur la moto.
La mienne est restée la plus originale possible, soit 4 vitesses avec les vitesses inversées à droite et un sélecteur de neutre. Bleue et blanche, qui sont les couleurs de mon ancien club de rugby belge, et une armature soudée à l’arrière pour y accrocher nos valises en aluminium et le reste de l’équipement, qui était un petit peu trop conséquent pour les motos. Elles ont souffert durant le voyage.
Avoir son propre moyen de locomotion donne un aspect tout différent à un voyage. Cela donne à la fois une indépendance totale, il suffit d’une carte, d’essence et l’on va où l’on veut, mais on est également dépendant de celui-ci et en cas de soucis mécanique, il faut réparer.
L’avantage d’une moto et encore plus d’un monocylindre conçu il y a plus de 70 ans, c’est que tout est relativement simple et accepte de sérieuses approximations. Il est ainsi possible d’effectuer des réparations de fortune jusqu’à la prochaine étape ou jusqu’à ce que les prochains outils requis soient accessibles.
Nous avons effectué tellement de soudures sur la moto, que ce soit sur le cadre, le moteur ou dans l’embrayage que l’on peut dire « soudeur » en russe, arabe, tadjik, ouzbèque, chinois, urdu et farsi.
Voyager à moto offre également beaucoup de moments de réflexion, de solitude. Bien que l’on puisse discuter lors des arrêts et étapes, pendant que l’on roule, on est seul avec ses pensées.
Chacun laisse son esprit vaquer à ce qu’il veut lorsqu’il est sur la selle et cela donne la chance de réfléchir, de réaliser une introspection que l’on n’aurait pas eu l’occasion de réaliser autrement, en voiture ou en bus où l’on est à plusieurs.
Enfin, la moto permet également de passer par des chemins qui n’auraient pas été accessibles autrement. En deux-roues, il est plus facile de passer un gué ou un pont suspendu, qui aurait été trop étroit pour une voiture.
« Il n’y a pas d’armature qui nous sépare des autres et lorsque nous arrivons dans un village, nous pouvons directement discuter et faire connaissance »
Ce qui vous a le plus surpris ?
Ce qui m’a le plus surpris, c’est qu’il y a toujours une solution même si, parfois, y arriver demande de l’abnégation, du dépassement de soi ou de l’ingéniosité.
Partir en voyage, c’est sortir de sa zone de confort et chaque épreuve que l’on passe permet d’agrandir celle-ci. Avant le voyage, je ne connaissais pas mes réactions dans de nombreux cas de figure, aujourd’hui, j’ai une meilleure idée.
Au-delà de l’aspect personnel, découvrir de nouvelles cultures, dans des endroits reculés du monde, c’est être surpris par la simplicité et la générosité des gens. Nous avons très souvent été invités à dormir chez l’habitant, été invités pour un déjeuner, un dîner et même à des mariages, où l’on nous a fait en quelques minutes une place à table, invités à porter un toast à l’intention des mariés – que personne n’a compris mais que tout le monde a applaudi – avant de terminer tard dans la nuit, à danser la polka sur des airs russes.
Vos plus belles rencontres ?
Nous avons rencontré énormément de monde, avec certains la conversation a été assez courte, les questions souvent posées sont « d’où tu viens, combien coute ta moto, es-tu marié ? » merci, au revoir.
D’autres rencontres ont été beaucoup plus marquantes, parfois avec certains voyageurs occidentaux avec qui nous avons roulé pendant quelques étapes, ou des locaux avec qui nous avons pu échanger plus amplement parce qu’ils parlaient un meilleur anglais.
Une rencontre qui fut extraordinaire est la visite du Pape Francois à Baku. Nous n’étions sensés passer qu’un jour à Baku mais un problème technique nous a immobilisés deux semaines.
C’est un peu par hasard que j’ai appris que le Pape était en visite dans ce pays où il y a peine quelques centaines de chrétiens et une seule église, de taille modeste. Nous avions fait une grande fête la veille pour célébrer notre départ vers l’Iran et il a fallu se lever tôt pour aller à la messe, attendre trois heures à l’intérieur par « mesure de sécurité » et finalement pouvoir serrer la main de Francois, être béni et assister à la messe dans un mélange de russe, latin et azéri.
Votre plus belle galère ?
Ce sont évidemment les problèmes mécaniques qui nous ont souvent mis en retard ou obligés à nous arrêter pour quelques jours / heures alors que ce n’était pas prévu.
Un des plus gros soucis était à Douchanbé, nous étions arrêtés pour quelques jours pour nous reposer et commander nos visas turkmènes (qui nous ont été refusés) et on en profite pour faire l’entretien complet de nos motos qui ont bien soufferts sur la Pamir Highway.
On en profite pour essayer de colmater une fuite sur le cylindre d’une des motos et en voulant remettre piston dans sa chemise, un des segments se casse. Pas de soucis, on en a un de rechange. Pas de chance, le segment de rechange casse aussi…
On est bloqué à Douchanbé à présent et on risque de devoir attendre deux semaines, le temps que DHL nous apporte de nouveaux segments car on ne peut reprendre la route sans et impossible d’en trouver pour Royal Enfield sur place.
On est désespéré, mais coups de chance, il y a un vol hebdomadaire Douchanbé – Delhi et celui-ci décolle demain. On voulait négocier une place sur le vol pour aller chercher les pièces nous-mêmes sur la journée mais « Tadjik Air » est sous le charme de notre aventure et nous propose que les pilotes nous ramènent eux-mêmes les pièces dans le cockpit !
On s’arrange avec Rana à Delhi et le lendemain les pièces arrivent par vol direct de Delhi, free of charge, et nous pouvons réparer les motos pour continuer l’aventure.
Votre meilleur souvenir ?
Il est difficile de véritablement isoler un évènement particulier tant un voyage au long cours est riche en expériences inoubliables.
Que ce soit l’arrivée en haut d’un col avec une nouvelle chaine de montagne, majestueuse, qui apparait au loin ou être accueilli chez l’habitant après une longue et rude étape et se voir offrir un repas fastueux, ponctué de vifs échanges, de rires et de délicieux mets.
…Ou les découvertes que l’on fait sur soi-même, mieux se connaître face aux imprévus et découvrir sa résilience face à l’adversité. Savoir que quoiqu’il arrive, on peut aller au bout de ce que l’on s’est fixé comme objectif, si on y croit et qu’on en veut.
C’est parfois aussi, quand l’on est dans une période de désespoir, de voir un local arriver de derrière la colline, ou une voiture au loin, qui permettra d’apporter l’aide nécessaire pour aller plus loin.
Un beau souvenir est peut-être l’un des premiers durant le voyage. Nous sommes au Pakistan, entre Lahore et Islamabad, au 4ème jour de voyage. On nous a conseillé de ne pas rouler de nuit, « ce n’est pas sûr »… Mais comme nous sommes en retard, il faut que l’on avance.
Il est 10 heures du soir, c’est la nuit noire et nous nous arrêtons dans un petit restaurant sur une aire de repos. C’est le début du voyage, on se sent un petit peu vulnérable comme on ne sait pas à quoi s’attendre. On dénote clairement parmi les locaux qui, soit nous ignorent, soit nous épient. Personne ne vient nous parler.
Après 20 minutes, un jeune pakistanais vient nous aborder en nous proposant du thé, dans un anglais approximatif, ensuite, un second vient nous aborder et en quelques minutes, c’est tout le restaurant qui est à notre table, pour discuter, nous poser des questions, partir dans des grands éclats de rires et surtout, avec tellement de bienveillance.
On voulait offrir le thé à tout le monde mais c’est eux qui ont insisté pour nous l’offrir de telle façon qu’on ne puisse refuser. On a passé un très bon moment avec tous ces gens qui paraissaient peu accueillants au début. C’est à ce moment-là que nous avons compris que pour le reste du voyage, il faudra nous ouvrir aux autres et que les habitants de ces régions sont bien plus bienveillants que ce que l’on ne nous dit en Europe.
Une autre surprise, était un message reçu sur notre page Facebook d’une personne qui nous suivait, qui appréciait notre trip et nous demande s’il peut… se tatouer notre logo sur le biceps! C’est venu comme une énorme surprise et nous n’avions pas vraiment conscience de tous les gens qui nous suivaient durant l’aventure. Nous avons bien entendu accepté et quelques jours plus tard nous recevons la photo du tatouage exécuté ! Il se fait que cette personne a entrepris le même voyage que nous et a également partagé son expérience dans une interview Mono 500 ^^
« C’est parfois aussi, quand l’on est dans une période de désespoir, de voir un local arriver de derrière la colline, ou une voiture au loin, qui permettra d’apporter l’aide nécessaire pour aller plus loin »
Quel est l’objet que vous avez emporté qui ne vous a jamais servi ?
Nous avions apporté énormément de pièces de rechange et de matériel vidéo. Je pense qu’on n’a pas utilisé la moitié des pièces de rechange, on a eu besoin de quelques pièces que nous n’avions pas emporté, évidemment ? Il y aussi quelques accessoires photo que l’on n’a pas eu l’occasion d’utiliser.
Quel serait votre prochain road trip à moto ?
Cape Town – Bruxelles, un jour…
Pour suivre les aventures de Léopold et The Royal Silk Road, rendez-vous sur le site theroyalsilkroad et sur leur chaîne Youtube pour découvrir leurs magnifiques vidéos! Retrouvez aussi leurs actus sur Facebook et Instagram.
Par : Léopold Wirtz
Crédits photos : Donald Marchandise et Thibault Flament