PORTRAITS
Toute l’année, nous suivons des voyageurs au long cours. Nous en rencontrons certains en voyage, d’autres chez nous. Et c’est toujours l’occasion de partager nos découvertes et notre passion pour le voyage et l’aventure.
Voici l’interview d’un voyageur que nous connaissons très bien… puisqu’il a rejoint la grande famille Mono 500 en tant que guide !
Avant de s’installer avec Cira et de porter le projet Mono 500 en Équateur, Yves et Cira ont eu la chance de partager un bon bout de route à bord d’un Chang Jiang 750 : un side-car copié de la Seconde Guerre Mondiale.
Comment est née votre idée de voyage ?
A peine arrivé en Chine en 2006, j’ai vu un vieux side-car chinois dans la rue. J’ai réussi à le louer pour mon premier week-end, le temps de me perdre, d’apprendre à le réparer…
C’était tellement fou de m’être permis de me balader dans un pays dont je ne connaissais encore ni la langue, ni la culture.
Les rencontres avec les gens était géniales, du simple sourire du fait de voir leur premier étranger en moto au milieu de nulle part, aux coups de main pour m’aider à redémarrer cette vielle mécanique que je ne connaissais pas encore.
De retour de ce week-end, je me suis promis que je ferai un Pékin-Paris avec ce même modèle de moto quand je déménagerai de Chine.
En effet, après 7 ans de vie et de moto en Chine, ma femme et moi avions décidé de partir vivre en Equateur mais, avant de nous installer de l’autre côté du globe, nous voulions faire un Pékin-Paris avec notre vieux side-car.
Le deuxième facteur important dans le choix du trajet a été que, pendant 7 ans, je suis allé en avion de Paris à Pékin à répétition.
Je changeais complètement de monde en quelques heures seulement. Mais qu’y avait-il entre ces deux cultures tellement différentes ? Les conditions du vol en avion faisaient que je n’avais aucune transition.
L’idée était donc de prendre le temps de rouler doucement, de vivre un voyage comme autrefois avec ses contraintes géographiques et (déserts, mers, températures, altitudes,…), l’adaptation et la découverte de cultures nouvelles (les nomades, les différentes religions, la nourriture, le rapport à l’alcool…).
Donc cette aventure part sur des bases à l’ancienne, tout en étant un challenge mécanique réel pour cette vielle mécanique chinoise (qui est une copie de la copie de la BMW de la Seconde Guerre Mondiale.
Je n’étais pas à la recherche d’un voyage facile avec un gros budget et une moto moderne sans problèmes. Ça provoquait des rencontres avec les locaux, pour se faire dépanner d’une batterie, d’une chambre à air ou réparer une bielle!
Ce sont aussi les raisons de la satisfaction énorme de réussir à terminer cette aventure. Chaque problème a trouvé sa solution. Quel bonheur!
Comment avez-vous préparé votre voyage ?
La difficulté, c’était de n’avoir que peu d’informations sur comment sortir de Chine et les papiers nécessaires pour chaque pays traversé.
Les questions sur nos visas, mais surtout sur comment faire entrer légalement le véhicule dans chacun de ces pays. Certains te donnent un mois de visa mais 5 jours pour ta moto.
Donc le travail a été de rencontrer le maximum d’ambassades de ces pays-là à Pékin pour avoir les informations d’entrées et sorties, mais aussi les règles de sécurité, les assurances, les dangers, la qualité des routes, les possibilités de dormir en tente, etc.
Les rendez-vous dans les ambassades ont été le moyen le plus fructueux pour nous. A l’époque, il y avait encore peu d’informations sur Internet et encore moins en Chine, où la majorité des sites et moteurs de recherche étrangers sont bloqués.
J’ai aussi pris 2 mois pour démonter intégralement la moto, le side-car et le moteur, tout remonter avec des accessoires supplémentaires (jerrycans, boîtes à outils, roues de secours) et faire la liste des pièces qui n’allaient pas tenir les 22 000 km.
Nous avons calculé la durée de vie moyenne de chaque pièce (bielle, bougies, pistons, transmission…) afin de prévoir les stocks suffisants pour pouvoir réparer nous-mêmes, au milieu du désert, les pièces qui casseraient.
Pas de magasins dans les parages donc il fallait être autonome en pièces et en capacité de les changer (de l’expérience mécanique mais aussi des outils adaptés).
Ce sont tous les problèmes que j’ai eus avec cette moto qui ont rendu cette aventure unique !
Quel était votre itinéraire ?
La traversée de toute la Chine, d’Est en Ouest, dont les 800 km de désert de sable, puis le Kazakstan, l’Azerbajian, la Georgie, la Turquie, la Grèce, l’Albanie, le Montenegro, la Croatie, la Bosnie, la Slovénie, l’Italie et enfin, la France!
Un dernier tour de France par Nice, Saintes-Maries-de-la-Mer, Toulouse, Cognac, La Rochelle, Rennes et Paris… avant de finir « officiellement » le voyage !
Pourquoi avoir voyagé avec cette moto ?
Nous avons voyagé avec un Chang Jiang 750 ou CJ750: un modèle chinois de 1957, copie de l’Oural et du Zundiepp russes, qui sont eux-mêmes tirés de la BMW de la Seconde Guerre Mondiale.
Autrement dit, c’est une copie de copie, qualité chinoise! Voilà l’idée que j’ai du challenge idéal!
J’aime beaucoup cette moto pour le capital sympathie qu’elle dégage. Elle rappelle une époque lointaine. Les images d’Indiana Jones avec son side-car pendant la guerre viennent à l’esprit de tous.
Le concept de la moto, c’est pour moi la liberté de se déplacer en vivant tout pleinement: la proximité avec les gens autant que les contraintes comme le climat (pluies, neige, froid, chaud…).
Le choix d’une moto lente, c’est plutôt pour prendre le temps de vivre sa journée, de voir les paysages, de prendre soin de sa mécanique…
Cette vieille moto avec side-car fait sourire tout le monde, que ce soit la vieille dame du marché ou l’enfant qui souhaite s’asseoir dans la bassine. Pas besoin d’être un motard chevronné pour aimer cette moto.
Elle m’a permis des rencontres aussi superbes qu’anodines à chaque pause.
Ce qui vous a le plus surpris ?
Tous ces pays peu connus, comme le Kazakstan par exemple, qui reçoivent très amicalement le voyageur étranger.
On vous prête dans un magasin une douche ou un rasoir, avant de vous offrir une soupe. En plus de leur curiosité agréable et de leur accueil charmant, ils insistent souvent pour faire un cadeau.
Ils prennent soin du voyageur, il est très important pour eux de savoir que tu aimes leur pays, que les gens t’ont bien reçu, sans rien en tirer financièrement.
Nous sommes très loin de ces comportements envers nos touristes en France. On relativise et on compare chaque rencontre, lorsqu’on est au guidon entre chaque pause. Est-ce que j’aurai donné le même accueil en France dans le cas inverse? De belles leçons de vie.
Ça m’a vraiment marqué et je n’en reçois que plus de voyageurs chez moi, ou je prends le temps de m’arrêter sur les routes pour aider un autre voyageur. Ce sont des échanges toujours enrichissants : faites-le plus souvent!
Ça maintient les envies de voyages quand des voyageurs racontent leurs anecdotes de trip!
Votre plus belle rencontre ?
Beaucoup trop d’anecdotes marquantes…!
Mais une amusante: c’était en Italie, ça faisait déjà plus d’un mois que je n’avais pas eu de grands problèmes avec l’armée, les douanes ou la police (gros soucis dans certains pays, on avait l’habitude de discuter avec eux…).
On sort de Slovénie, il va faire nuit dans 2 heures, nous nous approchons de Trieste, mais des bouchons énormes nous empêchent d’avancer. En plein mois d’août, le vieux moteur chauffe au milieu des voitures.
Une moto de police arrive en sens inverse. Je regarde Cira et lui dis que je sens que la police va nous causer des problèmes (permis moto chinois, carte grise chinoise et plaque d’immatriculation chinoise = problèmes potentiels).
Deux minutes après, toujours dans ces mêmes bouchons, quelqu’un me tape sur l’épaule: c’était le policier en moto, à mes cotés, qui me demande en anglais d’où je viens.
Je réponds que je suis français et il s’exclame: « Tu viens de France avec ça ! », en pointant le vieux side-car. Je réponds : « Non, je viens de Pékin avec ça! ». « You are crazy man, what do you need? » : je lui fais comprendre que la moto surchauffe dans cette chaleur avec les bouchons, et que je cherche un camping pour mettre la tente cette nuit. Il prend sa radio, dit quelques trucs en italien et me demande de le suivre sur la voie d’en face, sirènes et gyrophares en marche.
On prend les ronds-points en sens inverse avec les policiers au garde-à-vous qui nous saluent tels des présidents! 30 ou 40 minutes à profiter de cette escorte exceptionnelle pour rejoindre un camping dans les hauteurs, avec vue sur la ville.
Le policier remet les sirènes en entrant dans le camping, les gens se rapprochent et il dit en italien, »ces deux jeunes arrivent depuis Pékin avec cette moto, aidez-les avec un endroit qu’ils puissent mettre leur tente »! La patronne valide en souriant.
Il descend de sa moto et nous félicite pour notre projet, tout en arrachant l’écusson de son blouson en disant : »Je ne suis pas supposé te le donner, mais tu le mérites ». Juste le temps de prendre une photo ensemble et le voilà reparti!
Quel souvenir! Moi qui pensais devoir expliquer mes documents en chinois, on se retrouve en escorte présidentielle avec un superbe accueil grâce à ce policier fan de moto !
Votre plus belle galère ?
J’ai fait une partie du voyage seul. Cira a fait le premier mois avec moi pour traverser la Chine, puis m’a rejoint un mois et demi plus tard à Ankara, en Turquie.
Les problèmes de passage de frontières ou de déserts en étant « accusés » d’espionnage ont été épuisants moralement et physiquement, car on n’osait plus s’arrêter dans les petits villages, même pour se recharger en nourriture et en eau.
Sans pouvoir trop rentrer dans les détails, j’ai dû me cacher 4 jours dans le container postal d’un train dans l’ouest du Kazakhstan puis 30 heures dans les soutes d’un bateau pour traverser la mer Caspienne, pour finalement me retrouver en salle d’interrogatoire en Azerbajian.
Une fois sorti, on retrouve des routes, de l’essence, des lois, des gens…nous n’étions plus dans une situation extrême! En cas de soucis mécaniques, on se débrouille toujours, mais avec les autorités…
Apres ces stress intenses, le rythme de voyage le long de la côte Nord Turque a été apaisant ! Quel bien fou de voir du monde, de se baigner dans la mer et de faire des barbecues !
Quel est l’objet que vous avez emporté qui ne vous a jamais servi ?
Cira avait décidé de prendre une corde à sauter pour faire de l’exercice après les longues journées de moto.
J’ai retrouvé la corde dans son emballage quand on rangeait la moto en France !
Quel serait votre prochain road trip à moto ?
Dans un délai assez court, je pense que je vais faire d’ici 2022 une traversée de l’Atlantique à la voile.
Au plus long terme, un truc plus simple que Pékin-Paris comme un Alaska-Ushuaia.
Quand je dis plus simple, c’est que la communication se fait soit anglais soit espagnol, et que les frontières ont l’habitude de voir des grands voyageurs ! Ça reste bien sûr un grand défi.
Je ne me décide pas encore de quelle manière, mais peut-être avec un camion aménagé et une Royal Enfield dedans, si nous avons des enfants. S’il n’y a pas d’enfants, la Royal Enfield est suffisante pour un trip au top!
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Par : Yves du Parc
Crédits photos : Yves du Parc